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Le blog de Tim.

Ce que je pense.

Deleuze: Appareils d'Etat et machines de guerre, séance 7

Publié le 2 Octobre 2015

Voilà, d'abord je cherche ou bien des confirmations, ou bien, que vous compreniez bien de quoi on parle, ou bien des confirmations ou bien des infirmations sur le thème qu'on a vu les fois précédentes, à savoir un certain rapport impôt / commerce tel que d'une certaine manière le commerce ne pourrait se déployer que dans un milieu social d'imposition. Ça, on l'a vu beaucoup. Et alors, parmi nous, là, il y a Eric Alliez qui travaille depuis un certain temps sur, à la fois une doctrine économique et une période où cette doctrine a eu beaucoup d'importance, à savoir le mercantilisme. Et alors, je lui demandais comment, à son avis, s'organisait chez les auteurs dits mercantilistes qui sont à la fois des praticiens, qui sont pas seulement des théoriciens, qui sont praticiens, comment s'organisait le rapport impôt / commerce puisque ils ont été à un moment essentiel de la formation historique du commerce européen. Alors, qu'est-ce que tu dirais là-dessus ? (Réponse inaudible) Tu parles le plus fort que tu peux.

 

(Retranscription trop difficile de la réponse d'Eric Alliez que l'on n'entend pas bien de 1:25 à 28 :45).

 

Deleuze : Parfait ! Il n'y a rien à ajouter puisque tout est confirmation, il n'y a aucune difficulté, c'est une une masse... Parfait ! Donc, voyez, on aurait pu, et puis sûrement, il y a d'autres exemples... Moi, ce qui me touche, je dirais, alors dans un tout autre contexte social, mais l'exemple des Empires orientaux. Dans quelle mesure, là aussi, c'est le système des impôts qui permet le déploiement du commerce et en même temps l'appropriation du commerce par l'Empire. Alors tout va bien.

 

Alors voilà, je voudrais aujourd'hui presque numéroter nos thèmes et on va retrouver des problèmes analogues à ceux d'Eric. Voilà, ma première question, c'est celle-ci : et je voudrais presque qu'on arrive à... comme le sentir. Sentir une complémentarité entre, une complémentarité inévitable, entre deux événements, deux événements abstraits. Le premier événement que je considère, c'est, encore une fois, la formation de l’État comme appareil de capture. Alors ça, on en a fini avec cette formation, je rappelle juste pour résumer que la formation de l’État comme appareil de capture, on peut la présenter, en résumé, comme le système surcodage-terre. Surcodage-terre par différence avec ce qu'on pourrait appeler, comme ça, les systèmes primitifs qui eux sont des systèmes – est-ce que le mot système convient ? peu importe – des systèmes code-territoire. Alors, on a vu que le système surcodage-terre, c'était tout à fait autre chose et que le système surcodage-terre ne faisait qu'un avec l'érection d'un appareil de capture (mot inaudible 30:54). Alors, ce qui m'intéresse aujourd'hui, c'est (inaudible) je voudrais montrer ceci que, lorsque l'on se trouve dans un système qui surcode, qui surcode les flux, c'est-à-dire qui, au lieu de coder des territoires ou des territorialités, surcode des ensembles formés dans les conditions qu'on a vu précédemment, et bien, lorsqu'on se trouve devant un système de surcodage des flux d'un champ social, inévitablement, ce surcodage va faire naître des flux décodés, va lui-même provoquer en certains points, il va falloir dire quels points et pourquoi, mais il y a quelque chose d'inévitable. A la lettre, on pourrait dire : vous ne surcoderez pas des flux, vous ne monterez pas un appareil de surcodage sans, par là-même, faire couler des flux décodés, c'est-à-dire des flux qui échappent à la fois aux codes primitifs et au surcodage impérial d’État. C'est l'acte même du surcodage de flux qui va faire couler dans le champ social des flux eux-mêmes décodés, qui tendent donc à lui échapper, puisque, encore une fois, pour nous, décodés, ça veut pas dire dont le code est compris, ça veut dire des flux qui échappent aux codes.

 

Alors, si vous voulez, pour que ça devienne concret, je reprend mes trois, on a vu que l'appareil de capture impérial, l'appareil de surcodage, avait comme trois têtes : la propriété publique de l'Empereur, qui encore une fois, n'est absolument pas propriétaire privé, qui agit comme propriétaire public de la terre, la terre est objet d'appropriation publique, donc elle est possédée par les communes mais elle est objet de la propriété impériale. Bon, donc la première tête, c'était la propriété publique, la seconde tête, c'était le travail public, la troisième tête, c'était l'impôt public. C'était les trois formes de surcodage, et en effet, dans la propriété publique, c'était le territoire qui était surcodé et qui devenait par là même terre. Dans le travail public, c'était l'activité qui était surcodée et qui devenait par là même sur-travail. Et dans l'impôt, c'était les rapports ou les échanges biens / services qui étaient eux-mêmes surcodés et qui devenaient monnaie d'impôts. Donc, il faudrait montrer que, à ces 3 niveaux, quelque chose de très précis va agir de telle manière que le surcodage ne se fera pas sans que, en même temps, surgissent et se mettent à couler dans le champ social des flux qui échappent aux codes et aux surcodes, c'est à dire, se mettent à couler des flux décodés. Or, la dernière fois, j'ai juste dit ceci, c'est là où il faut assigner chaque fois le point qui va être comme la source de ces flux décodés. Vous comprenez où je veux en venir, c'est que si on assigne bien ces points, dès lors, bah oui, c'est forcé que l’État le plus archaïque, c'est à dire le plus vieil Empire contienne déjà en lui des germes ou des virus. Il n'y aura même plus besoin de supposer une évolution, il y aura déjà, dans le plus vieil Empire archaïque, des espèces de virus qui vont le travailler et qui vont faire que le surcodage impérial ne se fait pas sans créer lui-même quelque chose qui va lui échapper et qui, dès lors, va sans doute être repris dans des formes d’État qui, en apparence, nous paraissent bien plus tardifs, ou bien, en réalité, sont bien plus tardifs. Mais ce qui nous intéresse, c'est pas une évolution, c'est assigner déjà comment ces germes se distribuent dans l'Empire archaïque.

 

Or, la dernière fois, qu'est-ce que j'ai essayé de dire à partir des thèses du sinologue hongrois Tokeï ? J'essayais de dire ceci qui est tout simple : lorsque la propriété publique du despote vient surcoder la possession communautaire ou, si vous voulez, la possession territoriale, et bien en même temps, on va assister à un phénomène très étrange, à savoir des flux de propriété privée vont, par ci, par là, se former et le surcodage opéré par la propriété publique va lui-même susciter des flux de propriété privée que, à la limite, il est incapable de contrôler. C'est très intéressant une telle histoire. Qu'à la limite il va être incapable de contrôler : plus ou moins, c'est à dire ces flux qui se décodent vont être pris dans une sorte de tension, leur tendance à échapper aux codes et au surcodage d’État, mais aussi, la manière dont le surcodage d’État doit se compliquer, doit se transformer pour les rattraper, pour les bloquer, pour les inhiber, pour les empêcher ou pour les maîtriser, pour les contrôler. Or, je disais, en effet, c'est en même temps que le personnage public du despote surcode tous les territoires en tant que propriétaire public de la terre, qu'un tout autre personnage, qui paraît vraiment un pauvre type maintenant, dans cette histoire, va faire couler le flux, un petit ruisseau, le ruisseau de la propriété privée. Et qui c'est ce personnage abominable, un peu étrange, ce personnage qui, encore une fois, se plaint tout le temps, par exemple, à l'horizon de l'histoire de la Chine, mais dans toute l'histoire universelle, on retrouve cette plainte, l'élégie ? C'est l'esclave affranchi ou le plébéien. Le plébéien romain, l'esclave affranchi de l'Empire chinois, et encore une fois, la plèbe romaine est composée en partie d'esclaves affranchis, donc la résonance entre des système pourtant très différents comme Rome et la Chine se vérifierait, c'est lui qui devient capable de propriété privée. Petite propriété privée. Alors là, on voit très bien comment le surcodage, encore une fois, des territoires tel que l'opère la propriété publique de l'Empereur ou du despote fait couler, dans des conditions précises, à savoir l'esclave affranchi, un ruisseau qui sans doute paraît d'abord minuscule, le ruisseau de la propriété privée. En d'autres termes, ce sur quoi j'insiste, c'est qu'il me semble exclu que l'on puisse passer des formes de la propriété publique de l'Empire à une espèce de privatisation qui se ferait par miracle. Encore une fois, même les fonctionnaires de l'Empereur qui reçoivent des terres en tenure ne peuvent pas devenir propriétaires privés puisque tout l'intérêt de la tenure de fonction, c'est précisément qu'on ne soit pas propriétaire privé. Alors, comme disait Tokeï, les fonctionnaires de l'Empereur, ça peut faire de petits despotes, ça peut pas faire de petits propriétaires privés. Tout leur intérêt et tous les revenus qu'ils tirent de ces terres vient précisément du caractère public de l'appropriation. Le propriétaire privé, il ne peut venir que d'ailleurs. Alors, il faut montrer que, à la fois, il ne vient que d'ailleurs et que cet ailleurs est nécessairement lié au système impérial. Or, ça, on avait une première réponse au niveau de la propriété. Encore une fois, la propriété publique du despote surcode, provoque en un point précis, celui de l'esclave affranchi, la formation d'un flux de propriété privée et non plus publique, c'est à dire, il y a un flux décodé qui se met à couler dans le système de surcodage.

 

Je dirais la même chose de notre second cas, le travail. Je dirais, j’emploierais la même formule : l'activité n'est pas surcodée par le régime impérial du travail public sans que ne se forme aussi un flux de travail privé. Mais qu'est-ce que ce sera ce travail privé ? Ce sera déjà l'esclavage privé, à savoir l'activité de l'esclave privé en tant que propriété d'un personnage qui est qui ? A nouveau, c'est l'esclave affranchi. C'est l'esclave affranchi qui commence à posséder des esclaves privés pour le travail artisanal et surtout minier. Sentez que, encore une fois, c'est une espèce de complémentarité, dès le moments où vous disposez d'un système de surcodage, c'est ce système de surcodage qui provoque en lui la formation et la coulée de flux décodés.

 

Troisième exemple, l'impôt et la monnaie. S'il est vrai que la forme argent se rapporte à l'impôt comme surcodage opéré par l’État impérial, par l'Empire archaïque, il faut dire que cette monnaie, cette forme monnaie, c'est la monnaie métallique, et finalement, la monnaie métallique, c'est la monnaie État. Seulement voilà, avec ce surcodage, on conçoit que s'établisse un ensemble d'équivalences, on l'a vu, ça, je ne reviens pas là-dessus, entre des biens, des services et de l'argent, notamment au niveau du paiement de l'impôt, les uns paieront l'impôt en nature, en biens, les autres paieront l'impôt en services, les autres paieront l'impôt en monnaie, en argent. On conçoit aussi que des formes commerciales, dès lors, se développent puisque tout ce système de l'impôt consiste à mettre et à opérer une rotation et à mettre en circulation des biens, des services et des pièces. Donc, il y a comme, déjà, une espèce de circulation commerçante au sein de ce surcodage impôt et c'est bien grâce à ce système que le commerce peut être tenu par l'Empire archaïque, au point que l'Empereur a, précisément, le monopole du commerce. Mais je dis, en même temps, comprenez, ça revient à dire une chose très simple, vous ne pouvez pas, comment dire... une fois que c'est lâché, on ne peut pas arrêter quelque chose, tout simplement, on ne sait jamais ce qui va avec, on ne sait jamais les complémentarités d'avance, c'est pas des complémentarités logiques, c'est d'un autre domaine. Il n'y a pas de complémentarité logique entre le surcodage par l'Empereur archaïque et les flux décodés de l'esclave affranchi. L'esclave affranchi, c'est lui le personnage qui est, en effet, en situation de décodage. Tant qu'il était esclave, il était encore surcodé ou codé. L'esclave affranchi, c'est un exclu, mais un exclu du dedans, il n'a pas de statut, il n'a pas de droit public, c'est une situation très, très bizarre. Or, le système du surcodage secrète ça. Alors, je dis, bon, vous avez le système impôt monnaie métallique et, par là, le commerce est bien approprié par l’État. Le grand exemple, c'est, en effet, la manière dont l'Empire chinois a tenté, vraiment, de surcoder le commerce, c'est le fameux quadrillage chinois, le quadrillage des villes chinoises qui est typiquement un système d'aménagement du territoire qui appartient essentiellement à l'appareil d’État comme appareil de capture et qui est une manière de surcoder toutes les activités commerciales (coupure)

 

… cette monnaie métallique, d'autres formes de monnaie. Je prend la distinction classique, où l'on distingue trois formes de monnaie. La monnaie métallique, c'est les pièces, l'or, l'argent, le cuivre, tout ce que vous voulez, la monnaie dite fiduciaire, ce sont les billets, au sens de billets de banque et la monnaie dite scripturale. La monnaie scripturale, c'est quoi ? Ben, c'est du type lettre de change, billet à escompte, voilà, c'est les deux premières formes qui apparaissent vers le XIIIème, XVème siècle, lettres de change, billets à escompte. Il y a une chose assez curieuse, si on réfléchit. La monnaie fiduciaire, elle ne me paraît pas très intéressante, parce que, elle est très intéressante, parce qu'elle opère comme une espèce de création de capital financier, elle permet, en effet, d'une part de transformer tout dans le domaine de la circulation, mais elle permet surtout d'augmenter la quantité de monnaie. C'est déjà une espèce de création de monnaie. Mais, ce qui m'intéresse, c'est les deux extrêmes. Si je met monnaie métallique et monnaie fiduciaire comme étant l'expression même, l'expression simple et l'expression complexe de ce qu'on peut appeler la monnaie d’État. La monnaie scripturale, la question, c'est qu'elle a une toute autre origine. Voyez que je retrouve mon thème dans ce troisième cas. Je dis à la fois, elle a une toute autre origine et pourtant, elle est inséparablement liée à la monnaie d’État, à la monnaie métallique, au point que vous ne pourrez pas lâcher des flux de monnaie métallique surcodés sans créer aussi des flux de monnaie scripturale décodés. Pourquoi ? De la même manière, je disais tout à l'heure, vous ne pouvez pas faire du despote le propriétaire public de la terre qui surcode tous les territoires, sans lâcher à un tout autre niveau, des flux de propriété privée qui renvoient à l'esclave affranchi. Voyez, l'esclave affranchi, c'est pas la même chose que le despote, mais il se trouve que très bizarrement, c'est le complémentaire, au sens, et c'est pas étonnant, que, on le pressentait déjà, l'esclave affranchi va devenir le conseiller de l'Empereur. Il y a une espèce de corrélation très bizarre. C'est une nécessité non logique. Faudrait trouver un mot pour ça, une nécessité alogique, une complémentarité alogique. Et c'est pas du tout la même chose. De la même manière, la monnaie scripturale et la monnaie métallique, c'est pas du tout la même chose. Ça n'empêche pas que, dès que vous faites un système de la monnaie métallique qui surcode le commerce, vous lâchez fatalement, nécessairement, des flux décodés de commerce qui eux, passent par la monnaie scripturale. J'essaye d'expliquer... Oui ? (question inaudible).

 

Alors, bon, tu dis ?... Non, ça je pense que c'est une forme de monnaie pseudo-métallique et non métallique mais qui fait fonction de monnaie métallique. Je suppose... Oui, mais ça, à mon avis, c'est des fonctionnaires, euh, ça dépend, c'est pas en Mésopotamie ça, c'est en Anatolie, non ? Quoi ? C'est en Anatolie, oui. Ah bah oui, mais c'est ce dont on a parlé. Quand on a fait l'hypothèse qu'il n'y avait aucune raison de s'en tenir à des États néolithiques, vous vous rappelez ? Je rappelle très vite tout ça, on a dit que, en vertu d'acquis relativement récents de l'archéologie, on pouvait même rompre avec un schéma qui avait duré jusqu'à récemment concernant le problème des Empires archaïques. Le schéma classique, c'était : ces Empires sont des Empires du néolithique et ces Empires du néolithique supposent déjà une agriculture élaborée, c'est à dire une agriculture capable de former des stocks. On a vu qu'un très grand archéologue à qui il est arrivé beaucoup de malheurs, mais pour d'autres raisons, à savoir un anglais qui s’appelle Mellaart, fait depuis, ou faisait, il a été interdit depuis, je crois, faisait des fouilles depuis 1960, les années 60, une vingtaine d'années, avait entrepris une série de fouilles en Anatolie et où il avait trouvé, il me semble que c'est une des grandes nouveautés dans les découvertes archéologiques depuis très, très longtemps, il avait découvert des traces de véritables Empires avec un rayon à peu près, avec une influence, une aire de domination de 3000 km, ce qui est énorme, en Anatolie et les premières fouilles concernent une ville au nom qui fait rêver, une ville alors, très, très archaïque, qui est célèbre grâce aux travaux de Mellaart et qui se prononce à peu près, je sais pas très bien comment ça se prononce : Çatal-Hüyück. Mais, parce qu'il a commencé par là, il semble qu'il y en ait de plus anciennes, ce qui fait remonter, la datation archéologique fait remonter cela à 10 000 – 7 000. C'est énorme. Et toute l'hypothèse, ce par quoi ça renverse tout ce qu'on disait jusque là sur les Empires archaïques en tant que ces Empires présupposaient une agriculture déjà développée, etc., ce qui renverse tout, c'est que, évidemment, rien n'empêche de plus de croire que ces Empires sont eux-mêmes héritiers... C'est très difficile ces Empires, les habitations sont en torchis donc c'est même pas de la..., ça subsiste pas tout ça, on peut à la limite, 10 000, ça nous met au tout début du néolithique, on peut à la limite lancer l'idée que, ce qui bouleverserait beaucoup de choses quand à la datation de ce genre de problèmes, on peut lancer le thème d’États paléolithiques, avec prudence, il y aurait des États paléolithiques dont Çatal-Hüyück ne serait qu'un dernier chaînon. Or, je dis, pourquoi c'est important cette histoire de date ? C'est parce qu'à ce moment là, il n'est pas question que les Empires présupposent l'agriculture. Encore une fois, c'était notre thème, ce n'est pas un certain niveau de l'agriculture qui rend possible les Empires, c'est les Empires archaïques qui inventent l'agriculture. A savoir, les Empires archaïques, ils sont directement en prise sur le monde des cueilleurs-chasseurs, il n'y a pas besoin, là aussi, ça brise beaucoup les schémas d'évolution, aucun besoin de présupposer une agriculture, passage de la cueillette à une agriculture rudimentaire, développement de l'agriculture et, l'agriculture s'étant développée, l'Empire archaïque devient possible. Aucune raison. Au contraire, il faut casser tous ces schémas d'évolution. Sous quelle forme, puisqu'on voit grâce à Mellaart comment est possible au moins l'érection d'un Empire archaïque directement en prise sur un monde de cueilleurs-chasseurs non agriculteurs ? Et comment on le voit ? Et bah, pour une raison très simple, c'est que ce qu'on voit positivement, c'est plutôt la manière dont l'agriculture vient de l'Empire et vient de la ville. A savoir, là le schéma évolutionniste est complètement transformé, il est même mis à l'envers, à savoir, il suffit de vous donner un système de rapt ou d'échange entre cueilleurs-chasseurs où des graines sauvages sont, à la lettre, mises dans un sac. Tout sort d'un sac. Il se trouve que le sac, c'est le sac de l'Empire, c'est l'appareil de capture. Vous mettez dans un sac des graines sauvages issues de territoires différents, donc ça ne suppose aucune agriculture, comme dit une urbaniste qui est très très importante, je crois, qui, à partir des travaux de James Mellaart, a construit tout un système, une espèce de modèle impérial, c'est une urbaniste anglaise, très bonne, qui a beaucoup travaillé sur les villes américaines et qui s'appelle Jane Jacobs. Jane Jacobs, elle fait un modèle qu'elle nomme la nouvelle obsidienne. Obsidienne, pour ceux qui ne le savent pas, c'est normal, c'est des laves, il y en a plusieurs, c'est pas un type de lave, c'est un ensemble de laves qui, avant toute métallurgie, a permis la fabrication d'outils au paléolithique et au néolithique. Et en effet, ça donne... Vous voyez, c'est des laves très belles, vert-noir, et en effet, on peux leur donner un grand champ, il y avait des couteaux en obsidienne, enfin obsidienne, c'était une très belle matière... Bon, et si j'insiste sur : avant toute métallurgie, tout comme je dis : avant toute agriculture, bon, il n'y a même plus besoin de supposer une métallurgie naissante, une agriculture naissante, dans lequel l'Empire archaïque se formerait. Non, je dis, tout sort d'un sac, c'est à dire, lorsque vous mettez des graines sauvages issues de territoires différents, c'est bien le système de l'Empire archaïque, dans la mesure où il a surcodé les territoires. Il fout tout ça dans un sac avec des fonctionnaires gardiens du sac, les fonctionnaires du despote, qu'est-ce qu'il se passe ? Tout le monde le sait, à plus ou moins longue échéance, se produit des phénomènes d'hybridation. Jane Jacobs insiste beaucoup, là, elle est très, très brillante, sur les hybridations dans le sac. Et qu'est-ce qu'il se passe ? Bah, l'Empire et la capitale, Çatal-Hüyück, la grande capitale, c'est elle qui créé l'agriculture. C'est elle qui est en situation d'avoir des semis et des semis comparatifs, c'est à dire, elle va foutre ses hybrides sur sa propre terre à elle. En d'autres termes, l'agriculture, elle naît dans la ville et sur les terres de la ville. Elle ne naît pas à la campagne. Jamais. Jamais... Elle naît à la ville, dans la ville, sur les terres de la ville. Alors, vous voyez que là, l'évolutionnisme est tout à fait court-circuité, vous avez vos territorialités de cueilleurs-chasseurs, c'est à dire vos territorialités itinérantes, vous avez l'appareil de capture, Empire archaïque, qui ne présuppose aucune agriculture et puis, l'agriculture vas sortir de l'appareil de capture. Alors, vous aurez deux cas, lorsque vous mettez des semis, lorsque vous plantez vos semis sur les terres de la ville, vous pouvez le faire de deux manières : ou bien le même semi sur des terres différentes, ou bien des semis différents sur la même terre successivement, c'est les deux cas intéressants. Ça correspond, si vous vous rappelez de ce qu'on a vu les dernières fois, ça correspond absolument déjà aux formules, en effet, de la terre et de la rente foncière, de la rente foncière qui revient au despote, c'est à dire, il y a une comparativité des terres ou des semis sur une même terre. Tout va très bien, quoi. Alors, en effet, c'est très, très important, je dis, l'importance des découvertes de Mellaart, c'est pas seulement de reculer, ce qui serait déjà très, très important, de reculer de 3 000 ans, ou de 5 000 ans, la datation ordinaire des grands Empires archaïques. Encore une fois, c'est plus le néolithique, c'est le tout début du néolithique et la fin du paléolithique et peut-être plus haut. Mais, ce problème quantitatif est second par rapport au problème qualitatif, c'est que si vous reculez la date, à ce moment là, il n'y a aucune raison de supposer encore, comme c'est encore dans la théorie de Marx ou dans la théorie des anciens archéologues, aucune raison de présupposer que l'Empire suppose un stade élaboré d'agriculture. Aucun besoin. En d'autres termes, le surgissement de l'Empire, on peut dire, cet appareil de capture, il se monte, mais il se monte en un coup et il est immédiatement contemporain de tout champ social. Ça veut pas dire que tout le monde y soit subordonné, il y a des gens qui y échappent, mais il est toujours là, à l'horizon.

 

Alors, je reviens à ça. Ça revient toujours un peu au même, on s'est pas tellement détourné de ce qu'on disait. Voyez mes complémentarités. Seulement, j'ajoute, dès que cet Empire est là, dès que cet appareil de surcodage est là, il comporte aussi les virus qui le rongent, et si je recommence la liste des 3 virus, qui sont à la fois autre chose, mais autre chose inséparablement lié au système du surcodage, je dirais, je recommence à dire, la propriété publique du despote qui surcode la terre engendre, du côté de l'esclave affranchi, un peu profond ruisseau, au début, le flux décodé de la propriété privée puisque l'esclave affranchi, c'est le personnage décodé, il n'a le droit d'avoir une propriété privée que parce qu'il est exclu de la publique. Du même coup, il devient capable d'avoir des esclaves privés, contrairement au despote qui n'a que des esclaves publics. L'esclave privé, c'est celui qui, précisément, va travailler dans la métallurgie, dans l'artisanat, dont l'esclave affranchi a comme une espèce de monopole de fait. Et je reviens à mon dernier exemple, j'ai donc la monnaie d’État, monnaie métallique ou même fiduciaire, je dis, eh bah oui, d'accord, c'est une monnaie de surcodage, avec le système impôt, elle opère déjà une circulation et une rotation au cours desquelles se constituent les équivalences biens-services-argent. Donc, elle surcode les échanges et le commerce, elle surcode tous les systèmes d'équivalence, seulement voilà, vous ne pouvez pas lâcher cette monnaie de surcodage sans que se constitue, à côté mais nécessairement, toujours à côté mais en complémentarité nécessaire, une autre monnaie scripturale. Alors, vous me direz, mais cette monnaie scripturale, c'est quoi ? Comment la distinguer, si je prend les deux pôles, monnaie d’État, monnaie scripturale, monnaie métallique d’État, monnaie scripturale ? La distinction est très bien faite par Marx dans ses textes sur la monnaie. Marx, je résume beaucoup, Marx dit en gros ceci : à un moment, il dit, la monnaie métallique, et il dit parfois la monnaie d’État, la monnaie métallique d’État, elle est par elle-même élément de socialisation. Ça nous convient, si vous me suivez, ça nous convient tout à fait cette expression, c'est à dire elle est elle-même une détermination sociale, en quel sens ? Elle socialise... Quoi ? Eh bien, elle socialise ce avec quoi elle entre en rapport. Avec quoi la monnaie métallique d'impôt entre-t-elle en rapport ? On l'a vu : avec des biens et des services, puisqu'en effet, c'est au niveau de l'impôt que se fait, encore une fois, ça, je ne cesserai pas de le répéter, que, il me semble que se fait les premiers systèmes d'équivalence biens-services-monnaie. Donc, cette monnaie métallique, elle socialise les biens et les services, c'est à dire, il s'agit d'une relation sociale publique. La monnaie scripturale, qu'est-ce que c'est ? Là, Marx le dit très... Je crois, tous les financiers le diraient également, l'analyse est très, très... C'est pas spécialement marxiste, ce que je dis, n'importe quel financier le dirait, je crois, que, logiquement, je ne parle pas des mélanges de fait, logiquement, ce qu'on appelle la monnaie scripturale, c'est l'expression d'une relation entre deux personnes privées. Je dis pas nécessairement des personnes physiques, ça peut être des personnes morales, mais c'est une relation monétaire entre deux personnes privées. En d'autres termes, la monnaie scripturale, et c'est ça qui me paraît essentiel, si l'on essaye de dépasser les définitions purement apparentes, la monnaie scripturale, elle est toujours asocialisée, elle n'est pas elle-même élément de socialisation. Elle doit être socialisée, c'est une relation privée. Relation privée entre qui et qui ? Entre une personne privée qu'on appellera une banque et une personne privée qu'on appellera un commerçant, par exemple. En d'autres termes, ce que disait Eric très bien tout à l'heure, déjà la définition de la création de monnaie à ce niveau, il y a plusieurs créations de monnaie, il y a une création de monnaie : monnaie métallique et il y a une toute autre type de création de monnaie, à savoir, une banque émet une créance sur elle-même. C'est ça la monnaie scripturale. L'acte par lequel une banque émet une créance sur elle-même, ça va être la relation privée fondamentale banque-commerçant qui va être constitutive de la monnaie dite scripturale. Alors, on comprend mieux les formes de la monnaie scripturale. Ça va être, la première forme, ça va être la lettre de change. Deuxième forme, beaucoup plus complexe, ça va être le billet escomptable. Alors, vous me direz, mais l’État intervient, mais attention, bien sûr l’État va intervenir, mais on en est à des déterminations logiques. Bien sûr, il faut bien, mais si vous voulez, il faut parler d'une dualité de monnaie. Il y a la monnaie comme détermination sociale publique qui appartient à l'Empire archaïque déjà, c'est la monnaie métallique. Elle renvoie au système d'impôts. Le système d'impôts rend possible des équivalences biens-services-argent et surcode le commerce. Mais, en même temps, vous ne pouvez pas lâcher ce circuit, même surcodé, sans que dans ce circuit, des points de décodage ne se fassent. Ces points de décodage, c'est la formation d'un tout autre flux monétaire, flux monétaire, lui, fondamentalement décodé, c'est à dire, qui exprime les relations privées entre des personnes. Vous me direz : pourquoi on ne peut pas l'empêcher ? C'est un peu comme si, si vous voulez, là je prend une métaphore géométrique facile, c'est comme si il y avait des points de tangente. Vous faites votre circuit de surcodage, il y a des tangentes qui s'en vont, il y a des tangentes qui fuient. Alors, comment ce sera, maintenant ? Je corrige en même temps ce que je viens de dire, en même temps, cette monnaie scripturale qui est une relation privée par opposition à la monnaie métallique comme instance publique, cette monnaie scripturale, je dis, elle exprime une relation privée et non pas une relation sociale en elle-même, mais en même temps, elle est inséparable d'un processus de socialisation. Elle se socialise dans la mesure où, ou par l'intermédiaire des opérations commerciales et bancaires qu'elle rend possible. Ce qui signifie quoi ? Ce qui signifie évidemment qu'il faudra qu'il y ait, c'est nécessaire, un ajustement de la monnaie scripturale sur la monnaie métallique. Faudra qu'il y ait un contrôle par l’État le plus archaïque de cette monnaie scripturale. Il faudra bien que l’État rattrape ça. Ils céderont de quoi unifier les deux monnaie, pour une simple raison, c'est qu'il faut qu'elles soient convertibles, les deux monnaies. La monnaie scripturale, si elle n'est pas convertible ni en monnaie métallique ou fiduciaire, elle n'a aucun sens. Si vous voulez, elle naît en tant que relation privée entre deux personnes, mais ne peux fonctionner que dans la mesure où elle est socialisée. Et elle n'est socialisée que dans la mesure où d'une manière ou d'une autre, elle s'aligne sur la monnaie métallique et scripturale, sur la monnaie d’État. Il faut bien qu'il y ait convertibilité des deux monnaies. Et qui est-ce qui l'assume, la convertibilité des deux monnaies ? C'est la banque. Pas n'importe laquelle. C'est plus la même que celle qui émettait la monnaie scripturale, c'est la banque que l'on nomme à juste titre centrale ou d’État. Ou, à la limite, la banque mondiale. La banque centrale, c'est elle qui va précisément assurer la convertibilité des deux monnaies. Le passage d'une monnaie dans l'autre et le contrôle de l'autre par l'une, exemple particulièrement frappant, par exemple, c'est la banque centrale qui va fixer le taux d'escompte, le taux d'escompte qui concerne avant tout la monnaie scripturale. Quand vous escomptez une traite, bon, il y a un taux d'escompte qui est fixé précisément par la banque centrale. Vous comprenez ?

 

Alors, c'est parfait, je veux dire, on le tient, notre schéma. Je veux dire, vous voyez que dans mes trois exemples, qui sont autre chose que des exemples, puisque c'est les trois aspects fondamentaux de l'appareil d’État, de l'appareil impérial. Je dis, ben oui, c'est très curieux, mais chaque fois que vous formez un circuit de surcodage que l'on peut appeler appareil d’État, circuit de surcodage soit au niveau de la propriété publique de la terre, avec la comparaison des terres, vous vous rappelez. C'est un véritable circuit. De la plus mauvaise à la meilleure terre, de la meilleure à la plus mauvaise, il y a un circuit de la terre, il y a un circuit foncier. Vous formez un circuit de surcodage et bah, en même temps, dans certains points de ce circuit qui peuvent être assignés, vous faites couler des flux qui se décodent. C'est la propriété privée, dans quel point du circuit ? On répond : l'esclave affranchi ou la plèbe. C'est elle qui est maîtresse de la propriété privée, au début. Elle va pas le rester longtemps, elle va pas résister. C'est l'esclave affranchi. Dans le deuxième temps, quand vous faites un circuit du travail, du travail public, et que vous avez là le second aspect du surcodage, vous ne pourrez pas le faire sans que, en certains points, des flux de travail privé, des flux qu'on appellera de travail libre, bizarrement, mais c'est un sens très, très curieux du mot libre, libre, ça signifie exactement décodé, des flux de travail libre ou privatisé ne coulent en certain points du circuit. Ces points, c'est quoi ? Je répond : c'est l'esclavage privé dont l'esclave affranchi est comme l'inventeur. Et troisièmement, quand vous faites votre circuit impôts, quand vous faites votre circuit métallique de l'impôt, vous ne pouvez pas le faire sans en même temps faire, en certains points de ce circuit couler des flux qui se décodent. Quels points du circuit ? Notre réponse, notre troisième et dernière réponse, c'est au point même où se forme la monnaie scripturale comme relation entre deux personnes. Alors, ça va être un truc très, très étonnant l'Empire archaïque. Il a déjà tous les germes ou virus qu'il force, ou à disparaître, ou à évoluer. Ce système de l'appropriation publique qui ne comportait rien de privé créé lui-même les conditions pour que se forment des flux de privatisation. J'arrive pas à le dire, je voudrais le dire encore plus clairement. Je ne sais pas. Est-ce que c'est bien clair ? (question d'un étudiant).

 

Ah bon. Là, j'allais vite en effet, parce que, il semble là aussi que esclavage, bon, c'est un mot qu'on a tellement lié à l'esclavage privé, à savoir lorsque quelqu'un, des hommes sont la propriété privée d'autres hommes, on l'a tellement lié à esclavage privé qu'on hésite presque à parler d'esclavage public. Lorsque certains auteurs, à la suite de Marx, lancent cette catégorie de ce qu'ils appellent esclavage généralisé, ça veut dire quoi, l'esclavage généralisé ? C'est précisément un esclavage qui n'est pas un esclavage privé. Alors, c'est quoi un esclavage généralisé ? L'esclavage généralisé, c'est l'état du travail dans l'Empire archaïque lorsque soit un certain nombre de travailleurs sont propriété, on dirait aujourd'hui de la Couronne, propriété de l'Empire, vous voyez, c'est pas du tout propriété du despote comme personne privée, ils ont une fonction, à savoir, une fonction de travail public, c'est des esclaves publics. Je signale, par exemple un livre excellent, j'y pense tout d'un coup, de Métraux, un grand ethnologue, Alfred Métraux sur les aztèques où il insiste beaucoup sur l'existence d'un esclavage public, à savoir, chez les aztèques, ça s'appelle les « yanas », ce sont des enfants enlevés très tôt à leur communauté et qui sont esclaves publics de l'Empereur et qui sont affectés à des tâches de travaux publics. Mais l'esclavage public dépasse ça, si vous voulez, l'esclavage généralisé déborde ça, parce que esclavage généralisé, c'est aussi la situation du sur-travail, à savoir des travailleurs des communautés doivent, en impôt à l'Empereur, un service dans les travaux publics, par exemple, le texte dont on parlait la dernière fois, je crois, le texte admirable de Kafka sur la muraille de Chine et la construction de la muraille de Chine, bon, les travailleurs de la communauté doivent un sur-travail qui va être la construction de la muraille ou bien, dans les Empires archaïques dits hydrauliques, c'est à dire qui reposent sur une construction hydraulique importante, et bien, le travail des canaux et de l'entretien des canaux, c'est un travail public. Il y a donc un esclavage généralisé ou public. Mais donc, l'esclave public, il est esclave soit du despote en tant que propriétaire public de la terre, soit du fonctionnaire du despote en tant que ce fonctionnaire reçoit une terre en tenure, mais c'est une terre de fonction, c'est pas une terre possédée à titre privé, puisque quand il cesse sa fonction, la terre revient à la Couronne, elle revient à l'instance impériale, ou bien même, c'est un esclave des communautés villageoise, qui avaient des esclaves, par exemple, en Chine, les communautés agricoles avaient elles-mêmes des esclaves. Dans chaque cas, vous voyez que cet esclavage public est le contraire d'un esclavage privé, il n'y a pas du tout de propriété privée d'un esclave et pourtant, il y a esclavage public. Quand est-ce que l'esclavage privé semble apparaître ? Et bien là aussi, on reprend exactement, c'est tout à fait le symétrique de ce qu'on a vu pour la propriété foncière. Quand est-ce que la propriété foncière apparaît comme propriété privée ? Elle apparaît lorsque l'on peut assigner dans le champ social des personnes, ça va précisément devenir des personnes, il faut comme préjuger, devancer, apparaissent des gens qui sont exclus des droits publics. Alors, question : qui est-ce qui est exclu des droits publics ? Bon, je recommence, pour que vraiment ce soit clair. Et bien, le despote est le maître des droits publics, le fonctionnaire est défini par des droits publics, les communautés villageoises ont des droits publics, les esclaves publics ont des droits publics et des devoirs publics. Donc dans un tel système, on se dit, mais il n'y a pas de place pour la moindre évolution ou pour le moindre changement, tout est prévu, tout est parfait. On ne prévoit jamais, c'est qu'en même temps, il y a ce mécanisme très bizarre, je vous dirait pourquoi il s'est monté ce mécanisme, sans doute que, enfin je ne sais pas trop, ça me dépasse, mais il y a, dans tous les Empires, ce mécanisme de l'affranchissement.

 

Quoi ? (Question d'un étudiant). Ah, d'où ça vient ça ? Je ne sais pas. Oui, si on me reproche de me le donner l'affranchi, là je peux pas aller plus loin, pour le moment. Peut-être, une autre année, j'aurai une idée, faut pas m'en vouloir. Là, si vous me demandez, en effet, qu'est-ce qui rendait nécessaire un mécanisme de l'affranchissement ? je suis sûr qu'on peut trouver une réponse, mais que là, en effet, ça suppose des choses que je n'ai pas sur l'Empire chinois, par exemple, où le mouvement des affranchis a eu tellement d'importance, tant le mouvement des affranchis présuppose bien que l'affranchissement soit comme une espèce d'institution nécessairement constituée dans un tel système. Alors, bon, compte tenu de cette critique, qu'on peut me faire et qui est très très juste, comme j'explique pas pourquoi il y a cette institution de l'affranchissement, l'affranchi, lui, il n'a aucun droit public, il n'a plus de droits publics, il n'est plus esclave, il n'est pas fonctionnaire, il n'est plus rien, il est exclu des droits publics. La plèbe, là peut-être que ce serait du côté de la plèbe, parce que les romains, ça nous est quand même plus familier, peut-être que là, la réponse serait plus facile à trouver, mais, en effet, on voit très bien dans le... Je prend Rome au moment où, en forçant un peu les choses, on peut présenter Rome comme un cas d'Empire archaïque. Et, en effet, tout le monde est d'accord sur ceci que l'Empire étrusque, c'est un Empire de type archaïque avec toutes ces déterminations publiques, cette propriété publique, etc... C'est la grande époque des Rois, de ce qu'on appelle, dans la légende, les Rois de Rome. Qu'est-ce qui se passe ? Qu'est-ce qui va faire que cet Empire va s'écrouler ? Encore une fois, vous vous rappelez, on l'avait vu une autre année, c'était curieux ces Empires archaïques qui à la fois semblent tellement parfaits et qui s'écroulent d'un coup. Les proto-Empires grecs de Crète, de Mycènes, etc... qui s'écroulent comme ça, avec, pense-t-on, l'invasion dorienne, qui ont une écriture, l'écriture disparaît, et la cité grecque redécouvrira l'écriture à partir d'un tout autre horizon et en rapport avec de toutes autres choses. Il y a toutes sortes... la disparition d'un petit Empire, l'Empire de l’île de Pacques, très bizarres ces disparitions qui semblent avoir été d'un type catastrophe, quoi. Alors, dans le cas de l'Empire romain, de ce vieil Empire romain, hein, je ne parle pas de ce que l'on appelle classiquement l'Empire romain, du vieux système étrusque qui est un système archaïque. Qu'est-ce qui se passe ? Et bah, il y a les patriciens, et les patriciens, ils appartiennent entièrement au système impérial public. En quel sens ? En ce sens qu'ils exploitent la terre publique, cette terre publique est la propriété éminente du Roi étrusque, les patriciens exploitent et ont le droit d'exploiter la terre publique, l'ager publicus. Bon, voilà. Il y a des esclaves publics, il y a des villageois, il y a tout ce que vous voulez, il y a tout ce qu'on a vu pour définir l'Empire. Se forme la plèbe. Alors, bon, qu'est-ce que ça veut dire se forme la plèbe ? On retombe un peu dans le même truc. La plèbe, elle est constituée, semble-t-il, d'habitants des territoires conquis, en partie, en partie d'esclaves affranchis, on retombe sur... Donc, pas d'esclaves privés affranchis, on n'en est pas là, d'esclaves publics affranchis, d'esclaves impériaux affranchis, d'esclaves royaux affranchis. A nouveau, vous avez raison de me dire, mais alors pourquoi cet affranchissement, pourquoi cet institution parce que... ? Je ne sais pas. Et bien, le plébéien, lui, est exclu de tous les droits publics, c'est à dire, il n'a pas le droit d'exploiter l'ager publicus. Mais précisément en tant qu'exclu de tous les droits publics, il a le droit d'assigner la propriété de l'ager publicus, c'est à dire de réclamer la possession d'une petite parcelle à titre privé. Une parcelle de quoi ? Est-ce de l'ager publicus lui-même, ou bien de terre extérieure à l'ager publicus, de terre non défriché ? A mon avis, ça a changé, c'est un problème très, très important, ça, où, le seul point que je connaisse un peu qui est la royauté, mais c'est un cas relativement tardif, la royauté des Lagides, sous l'influence grecque en Égypte, et bien, c'est très curieux, tantôt ça a été une assignation de terre défriché, déjà défriché, donc déjà appartenant à la Couronne, tantôt de terre non-défriché. En tous cas, peu importe ce point, quelle que soit son importance, ça n'empêche pas que le plébéien, lui, a le droit d'assigner la propriété de l'ager publicus, c'est à dire de recevoir en propriété privée un petit lot. Là, donc, se confirme que c'est l'esclave affranchi qui, à la lettre, si j'ose dire, invente, en supprimant... ou bénéficie, créé... C'est en fonction de l'esclave affranchi que se créé le flux de propriété privée. Or, ce même esclave affranchi, en tant qu'exclu des droits publics, va aussi avoir le droit de faire du commerce et de l'artisanat, quitte, bien sûr, à donner encore à l'Empereur de l'impôt, il y aura tout un système d'imposition spécial. Et en tant qu'il est non seulement le propriétaire privé d'un lot, mais qu'il a une espèce de monopole de fait de l'activité industrielle et commerciale qui n'entre pas dans les droits du patricien, le patricien, ça ne l'intéresse pas du tout, et bien, l'esclave affranchi va devenir propriétaire privé d'esclaves qu'il fait travailler, qui ne sont plus des esclaves publics. Et à la limite, en tant que maître du commerce, c'est lui dont on peut imaginer qu'il lance les premiers équivalents, ou les premiers germes d'une monnaie dite scripturale.

 

Alors, en effet, plus je parle et plus je me dis que votre remarque est tout à fait juste, que dès lors, si l'affranchissement a tellement d'importance, faudrait comprendre d'où ça vient, un tel truc, l'affranchissement ? Pourquoi l'Empereur a-t-il besoin, pourquoi l'Empire a-t-il une institution dont il ne sait pas, à la fois dans quelle mesure elle ne va pas le déborder Ce sera pour une autre fois, ou bien l'un de vous trouvera. Voilà, est-ce que c'est clair, ça ? Il faudrait que ce soit très clair. Midi dix ? J'ajoute, très vite, là, tout ce que je viens de dire c'est une complémentarité que je peux appeler une complémentarité intrinsèque, entre quoi et quoi ? Complémentarité intrinsèque, c'est à dire intérieure au système impérial, entre le surcodage et l'apparition de flux décodés. Si je résume cette complémentarité intrinsèque, je dis, plus vous surcoderez, plus vous ferez couler aussi, sur d'autres points, des flux décodés qui seront comme les corrélats des points de surcodage. Vous voyez ? Monnaie scripturale, corrélat de la monnaie métallique, propriété privée, corrélat de l'appropriation publique. Mais, c'est pas sur les mêmes points. Je dis, il faudrait ajouter qu'il y a aussi une complémentarité extrinsèque. Alors, là, après tout, peut-être que dans cette voie, il faut tenir compte de tout. La complémentarité extrinsèque c'est ce qu'on pourrait appeler la prise ( ? 1:31:30) du grand dossier dont parlent les historiens, le dossier Orient / Occident. Et là, je résume parce que j'en ai parlé une autre année, je crois bien, je résume une espèce de grande hypothèse archéologique qui, justement, était l'hypothèse régnante avant les travaux de Mellaart, mais qui, pour ce que j'en retiens, vaut parfaitement, compte tenu des travaux de Mellaart. C'est l'hypothèse qu'un archéologue anglais, encore, Childe, a très très bien exposé dans deux livres, l'Orient préhistorique et l'Europe préhistorique. Et le schéma archéologique de Childe, lui-même archéologue, c'est exactement ceci, il dit, bah oui, les grands Empires, ils se sont constitués au proche-Orient. Proche-Orient, Égypte et, on peut ajouter, il ne s'occupe pas de la Chine, c'est un spécialiste de l’Égypte, on peut ajouter, en extrême-Orient. C'est l'invention de l'Orient, l'Empire archaïque... (coupure)

 

… Inde, Chine. C'est dans ces conditions d'agriculture que se forment les premiers grands stocks, les premiers grands stocks impériaux, dont je ne reviens pas là-dessus, puisque nous, on a changé l'ordre des choses, c'est pas l'Empire qui suppose le stock, c'est le stock qui suppose l'Empire, ça change. Supposons que le modèle de ces grands Empires archaïques a été précisément l'Orient. Pourquoi ? Là, il faudrait faire intervenir toutes sortes de choses, sur la géographie, les historiens actuels ont beaucoup fait, par exemple, le dossier Occident / Orient, c'est un lieu commun de l'histoire actuelle, l'étude du dossier antique, chez Braudel, vous trouvez ça très détaillé, l'évaluation à la fois des potentialités de l'Occident et de l'Orient, pourquoi telle chose s'est passé plutôt là et pourquoi pas là-bas, par exemple, quel était le système, quel était le rapport de l'Orient avec le bois, le rapport de l'Occident avec le bois, le rapport avec les eaux, dans les deux cas, enfin, toutes sortes de choses, quoi. Dans ce dossier très général, Childe, il me semble, lançait un grand ( ? 1:33:48). Il disait, bah oui, vous comprenez, les grands stocks agricoles se sont fait dans le proche-Orient, dans le moyen-Orient, on ajoute dans l'extrême-Orient. A ce moment-là, qu'est-ce qu'il y a d'autre dans le monde ? Bah déjà le monde, qu'on appelle le monde égéen, qui deviendra la prototype de l'Occident. Mais le monde égéen, c'est quoi ce monde méditerranéen égéen ? Et bah, il dit, pff, incapable, ne serait-ce que par les conditions géographiques, incapable d'arriver à un niveau d'agriculture et de faire des stocks de type stock impérial. Les grands sacs de graines, de graines mêmes sauvages, si je reviens alors au schéma de Jane Jacobs, là où se font les grandes hybridations, les terres sur lesquelles les semis sont plantés, tout ça, non, le monde égéen, avec toutes ses petites parcelles, ses vignes, tout ça, non, c'est pas les conditions. Et Childe fait des pages très belles, très brillantes sur les fouilles archéologiques lorsqu'il y a, là il parle vraiment comme spécialiste, il dit bah, il suffit d'être un peu familier des tombes, des études de tombes, on voit très bien que dans le monde égéen, les tombes ne nous livrent absolument rien du type stock, comme on en trouve dans les tombes orientales. Finalement, les stocks, sont très, très, beaucoup plus faibles, c'est très apparents. Il dit, il arrive à dire, bah oui, alors on trouve des Empires, l'Empire crétois, l'Empire de Mycènes, la Crète, Mycènes, mais il va presque jusqu'à dire, mais c'est des Empires pour rire. C'est des Empires pour rire, c'est pas... Agamemnon, c'est pas l'Empereur de Chine. Agamamnon, de Mycènes... Ou bien, pensez au très beau texte de Platon, ceux qui connaissent ce texte, où l’égyptien dit au grec, vous n'êtes que des enfants. Que des enfants dit l'égyptien, parce que bon, vous ne savez pas. Au niveau d'une machine impériale, vous ne savez pas, vous ne savez pas y faire. Pourquoi ils savent pas y faire, le monde égéen ? On va voir ce que ça implique dans le schéma de Childe qui me paraît très, très intéressant. Dans le schéma de Childe, ça veut dire ceci, les égéens, ils sont trop loin des grands centres du proche-Orient pour être directement dans la sphère d'influence de ces grands Empires. Ces grands Empires sont déjà là. Mais les égéens, les grecs, sont trop loin de la sphère d'influence. Eux-mêmes, ils ne peuvent pas faire la même chose, ils n'ont pas les moyens de faire des stocks de ce type, de construire un Empire. En revanche, ils sont assez près pour savoir que ça existe, pour être en rapport constant. Qu'est-ce qu'il va se passer ? Tant qu'ils peuvent, ils pillent. Les grecs sont de grands pilleurs. En effet, les pillages, toute la littérature grecque est parcourue de ces grandes entreprises, de ces raids qui sont des raids de pillage des stocks agricoles au proche-Orient. Bon, mais, c'est pas toujours facile de piller un grand Empire. Alors, qu'est-ce qu'ils peuvent faire d'autre ? Et ben voilà, eux, ils vont avoir un autre régime. Parce que, grâce au stock agricole, qu'est-ce que faisaient les Empires d'Orient ? Dans le schéma de Childe, c'est tout simple, donc, ils développaient, ou nous, nous dirions, ils créaient l'agriculture, mais peu importe cette différence, puisque bon, ça ne porte plus là-dessus, ils développaient ou créaient l'agriculture, d'autre part grâce au stock, ils pouvaient entretenir une caste d'artisans spécialisés, à savoir, il y avait des gens qui vivaient sur le stock d'Empire et qui s'occupaient de quoi ? Soit de métallurgie, soit de commerce. Les deux à la fois puisque ces Empires, en effet, d'Orient sont de grands métallurgistes et pourtant manquent de matière première, donc il fallait déjà des circuits commerciaux très, très poussés. Bon, mais vous voyez que ces artisans spécialisés, soit métallurgistes, soit commerçants, comme ils dépendaient directement de l'Empereur archaïque, en effet, ils vivaient sur les stocks de fonctionnaires, sur les stocks gérés par les fonctionnaires, sur les stocks impériaux. Eux et leur famille, ils étaient donc comme des fonctionnaires d'un autre type, ils dépendaient directement des stocks impériaux. Par là même, l'Empereur, l'Empereur oriental, l'Empereur archaïque, avait tous les moyens de surcoder le commerce et l'artisanat, le commerce, la métallurgie, l'industrie. Il les tenait. Mais là aussi, on va retrouver exactement, mais, si vous voulez, à un autre niveau, au niveau de l'extériorité ce qu'on a trouvé tout à l'heure au niveau de l'intériorité, mais en même temps, leur fonction même dans l'Empire archaïque ne cessait pas de les mettre en rapport avec l'extérieur, c'est à dire avec le monde égéen. En effet, les métaux, par exemple le cuivre, dont le proche-Orient manquait tragiquement, il venait par l’Égée, donc ces métallurgistes et ces commerçants, ils venaient de très loin, ils ne venaient pas d’Égée, d'après Childe, on trouve, dès le néolithique, par exemple de l'étain de Cornouailles, passant par l’Égée et qui arrive dans les Empires du proche-Orient, donc ça suppose des circuits commerciaux immenses, énormes. Or, donc, ces commerçants qui étaient surcodés dans l'Empire archaïque, ils se trouvent en même temps dans une autre situation sous l'autre aspect où ils ont affaire avec le monde égéen, d'où va venir les matières premières, c'est à dire les égéens échangent des matières premières contre du stock agricole. Si bien que le commerçant, dans le monde Égéen, a un tout autre statut que dans le monde oriental, ou tend à avoir un tout autre statut que dans le monde oriental. De même le métallurgiste tend à avoir un tout autre statut dans le monde oriental. Et pourtant, d'une certaine manière, c'est le même, c'est le même qui se balade. Il y a une itinérance, alors une nouvelle forme d'itinérance, du commerçant et du métallurgiste. Tantôt, c'est le même, tantôt, c'est pas le même. On comprend, à ce moment là, ce que peut vouloir dire une espèce de corporation, une corporation de métallurgiste qui aurait comme deux têtes, même trois têtes, une tête dans l'Empire oriental où il est surcodé, une tête dans le monde égéen où il est beaucoup moins tenu, et, alors, une tête obscure, dans des peuples peu connus, qui occupaient la Cornouailles à ce moment là et qui livrent l'étain. Bon, ça se complique. Qu'est-ce que ça veut dire, cette fois-ci, la complémentarité ? C'est que, à la limite, le même personnage qui est surcodé en Orient dans les conditions de l'Empire archaïque existe simultanément comme beaucoup moins codé, comme, à la limite, décodé, dans le monde égéen. Et c'est ce que dit Childe déjà. Bah oui, la vocation de commerce libéral de l'Occident commence dès ce moment là. Et c'est pas du tout une vertu, c'est une espèce de complémentarité. Ils n'ont pas à faire de grands Empires archaïques parce qu'ils vivent dessus. Ils vivent dessus, mais donnant-donnant. Voyez, mes deux complémentarités, je dirais, l'une conforme au schéma archéologique de Childe, c'est, si je cherche des formules qui les résument, ce serait la complémentarité extrinsèque, conforme au schéma de Childe en archéologie, ce serait les flux surcodés dans les Empires archaïques du proche-Orient et du moyen-Orient engendrent nécessairement ou ont nécessairement pour corrélat des flux qui tendent à se décoder dans le monde égéen. Ça, c'est une complémentarité géographique. Complémentarité intrinsèque cette fois-ci, conforme au schéma, si vous voulez, du sinologue Tokeï, de l'historien Tokeï, plus le système de surcodage assoit son pouvoir, de surcodage impérial archaïque, assoit son pouvoir public sur la propriété de la terre, la propriété publique de la terre, etc., etc., le travail public et l'impôt, plus se forme en corrélation des points de décodage, des flux décodés de, premièrement, propriété privée, deuxièmement, travail et esclavage privé, troisièmement, monnaie scripturale. Ouf, voilà. Alors, si vous comprenez cette situation, imaginez, on est là-dedans, on est dans cette situation de double tension, tension intrinsèque, tension extrinsèque, oui, je crois que c'est un des grands points pour comprendre ce que ça pouvait être que les corporations archaïques. Vous comprenez, c'est des appareils à têtes multiples là aussi. Ça va de soi qu'au besoin c'était des branches assez voisines, des types qui se connaissaient, des types qui... Le métallurgiste égéen, le métallurgiste égyptien, le métallurgiste de Cornouailles, il fallait bien qu'ils aient des rapports, il fallait bien... Il y avait des caravanes, ça passait à travers des peuples nomades, ça passait à travers... A un bout, qui est-ce qui tenait les mines ? Qui c'était les peuples qui tenaient les mines ? A l'autre bout, qui est-ce que c'était que ces Empires qui avaient une industrie métallurgiste déjà très forte, alors qu'ils n'avaient pas les métaux nécessaires ? Qu'est-ce que ça impliquait ? Ça impliquait précisément cette complémentarité entre les surcodages, plus l'Empereur surcodait le commerce et l'artisanat, plus il devait lâcher, plus à certains égards, en faveur des flux décodés, il y avait toutes les lignes de fuite, à savoir les métallurgistes qui en avaient marre, qui devaient filer par collectivités entières pour s'installer dans le monde égéen où ils avaient des conditions bien meilleures. Il a dû y avoir... Les révoltes paysannes, elles ont toujours été, enfin, toujours, très, très souvent dans le monde antique, elles sont en rapport avec des révoltes de métallurgistes, des révoltes dans les mines, tout ça. Le surcodage des mines, l'Empereur y attache énormément d'importance, encore jusqu'à il n'y a pas longtemps, c'est une des raisons pour lesquelles les historiens expliquent très bien que ce n'est pas la Chine qui a inventé le capitalisme, alors qu'elle aurait pu tellement le faire depuis longtemps, dès le XIIème siècle. Une des raisons, c'est précisément le surcodage où l'Empereur tenait, où l'Empereur comme personne publique, bien entendu, tenait et le commerce et le travail des mines. Par exemple, quand il décidait qu'il y en avait marre, les mines étaient fermées, on ne travaillait plus dedans. Là, c'est typiquement, ça, l'Empereur de Chine décide la fermeture des mines, voyez le livre de Balazs sur la bureaucratie céleste où il explique très bien ce système des mines qui étaient fermées périodiquement, ce qui supposait des fonctionnaires d'entretien, pour l'état des mines, ça va de soi, mais là, c'était vraiment le surcodage à l'état pur, jamais un État occidental ne peut réussir un coup comme ça. Je veux dire, ils n'ont fait qu'imiter et prendre ce qu'ils pouvaient des Empires archaïques, mais il y a une espèce de système de surcodage, qui va en même temps s'accompagner de fuites énormes. Le quadrillage des villes, ça consiste précisément, dans l'Empire chinois, à empêcher, en principe, les flux commerçants de se décoder. Or, là, on les code complètement. Telle ville aura tel monopole de commerce et pas un autre, hein, elle ne devra pas faire un autre commerce. Et dans la ville même, les quartiers seront complètement quadrillés, cloisonnés. C'est la méthode du cloisonnement. En effet, c'est une méthode type de surcodage. Or, il se trouve que, plus vous surcodez, plus il y a en même temps des espèces de flux qui se décodent, soit qui se décodent dans les rapports avec l'extérieur, soit même à l'intérieur. Donc, c'est la double complémentarité, ça. D'où, vous vous mettez dans la situation d'être dans un Empire de ce type, qu'est-ce qu'il se passe ? Qu'est-ce qu'il va pouvoir se passer ? Bon, on se repose un peu ? Quelle heure il est ? Midi et demi ? Vous en avez assez peut-être, non ? Oui, hein. Il n'y a pas de question ? Vous avez tout bien compris ? Bon, alors la prochaine fois...

 

Non, je... Quand même, pardon, vous tenez encore cinq minutes ? Oui, cinq minutes, comme ça... Alors, je résume très vite quelque chose que j'avais un peu lancé, que je comptais beaucoup plus développer, mais il faut avancer. Qu'est-ce qu'il peut se passer ? Bah, il va se passer, je dirais presque, voilà, on va assister à la seconde figure de l’État. Seulement, seconde figure de l’État, c'est très compliqué, c'est très mal dit. Parce que seconde figure de l’État, ça a l'air d'être une évolution. C'est pas forcément une évolution. D'autre part, ça a l'air d'être une figure un peu homogène. C'est pas du tout homogène, c'est tout ce que vous voulez... Dans cette seconde figure, il y a, en fait, les formes les plus différentes, les plus variées, et puis elles n'ont rien à voir les unes avec les autres. Qu'est-ce qui me permet pourtant de parler d'une seconde figure de l’État, avec toutes ces précautions, la première figure étant l'appareil de capture impérial archaïque. Je l'avais dit, c'est que, voilà, je dirais que renvoie à une seconde figure de l’État, avec beaucoup de précaution, toujours, toutes les relations collectives, sociales, qui se présentent comme des relations de dépendance personnelle. La relation de dépendance personnelle, c'est ça la seconde figure de l’État, où que ça se trouve et de quelque manière qu'elle s'incarne. Alors, je cite dans le désordre pour bien montrer à quel point c'est pas une figure, c'est pas un stade de l'évolution, je dis, chaque fois que les relations de dépendance personnelle vont monter dans le champ social, vous n'aurez plus un Empire archaïque, vous aurez la preuve de ce qu'il faut appeler un Empire évolué. Quand on nous parle de l'Empire romain, par exemple, bon, c'est ça. C'est pas un Empire archaïque, l'Empire romain. Quand on nous parle de l'Empire de Chine à tel ou tel moment, c'est pas un Empire archaïque, c'est un Empire évolué. Quand Montesquieu parle du despotisme asiatique, il ne parle pas des vieux Empires archaïques, il parle d'Empires typiquement évolués. Qu'est-ce que c'est un Empire évolué ? Je dirais, un Empire évolué, c'est un Empire où les relations publiques de fonction telles que nous les avons définies précédemment, là je ne reviens pas dessus, sont constamment doublées et à la limite remplacées par des relations de dépendance personnelle. Vous me direz, relation de dépendance personnelle, mais alors quoi, ça devient affaire de psychologie ? Pas du tout, évidemment. Ce qui m'intéresse, c'est pas personnelle, c'est relation. A savoir, c'est la consistance et la constance de ces relations, quelles que soient les personnes. L'Empereur romain peut être Jules ou Octave, ça n'empêche pas qu'entre le citoyen romain et l'Empereur, il y aura une relation de dépendance personnelle. Bon. Chaque fois que vous avez une sphère des relations de dépendance personnelle qui montent, qui doublent, qui couvrent, qui remplacent les relations publiques de l'ancien Empire archaïque, vous pouvez dire, c'est un Empire évolué. On a vu que, précisément, l'Empire romain, comment il fallait le définir, par la montée de cette sphère, donc qu'on appelle sphère du privé. Non pas qu'elle ne soit pas sociale, elle est parfaitement sociale, mais le public a cessé de désigner le mode d'appropriation impérial, le public n'est plus que le moyen de l'appropriation qui, elle, est devenue une appropriation privée. Alors, je disais, c'est ça, c'est ça l'histoire de l'Empire romain, je recommence pas, comprenez, et c'est pas par hasard que là, on retrouve le personnage fondamental de l'esclave affranchi. Dans l'Empire romain évolué, l'Empire romain se fait comme un Empire évolué, il surgit, il y a des Empires qui naissent évolués. L'Empire romain est un Empire qui naît comme un Empire évolué. Or, sous quelle forme il naît ? Il naît avec un double système, déjà, le système des fonctionnaires, qui renvoi au vieux thème, le populus romanus, le vieux peuple romain, le Sénat, etc. et qui très vite, n'est plus là que comme une espèce de couverture et tout ce système des fonctionnaires impériaux qui subsistent, c'est très curieux, fonctionnaires impériaux, impôts publics, est doublé par un autre système, qui est quoi ? L'esclave affranchi comme membre du concilium privé de l'Empereur, or c'est le concilium privé qui gouverne, c'est pas le Sénat, c'est même pas les fonctionnaires impériaux. Le fiscus, qui est un impôt spécial ou qui couvre un ensemble d'impôts spéciaux et qui se distingue de l'impôt public. Et là, vous avez toute cette sphère. Alors, c'est très compliqué parce que, vous savez, même dans cette catégorie Empire évolué, vous avez toutes sortes de figures extraordinairement variées, mais je dis, sa dominante, c'est que des relations de dépendance personnelle viennent doubler les relations de fonction publique. Bon. Je dis, là-dessus, oublions les Empires évolués, ils continuent, mais c'est pas le seul cas, il me semble, et c'est là-dessus que je voudrais, mais j'ai plus le temps, alors je cite juste, je crois que l'organisations de villes et de cités qui précisément se détachent, se décodent des Empires archaïques. On l'a vu, l'organisation ville qui est très différente de l'organisation Empire. Et ben, tout le régime des corporations, c'est un autre cas, c'est des relations de dépendance personnelle d'un type urbain, très différentes de celles des Empires évolués, tout à fait différentes, et il faudrait les analyser à partir de là. L'esclavage privé... (question d'un étudiant) Très différentes, à la fois des Empires archaïques mais aussi des Empires évolués, c'est des relations de dépendance personnelle d'un type urbain très différentes d'un type Empire évolué. La féodalité, elle est faite de ça. C'est un système de relations de dépendance personnelle. Encore une fois, ce qui compte, c'est pas personnelle là-dedans, c'est que les relations constantes ou consistantes entre personnes déterminées comme personnes privées, et la grande différence entre la féodalité et la fausse féodalité, entre les vrais fiefs, c'est à dire les fiefs de féodalité et ce qu'on appelle, ce que les historiens appellent les faux fiefs, les faux fiefs, c'est tout simple, c'est les terres de fonction qui renvoient plus ou moins directement à un Empire archaïque. Par exemple, c'est les tenures accordées aux fonctionnaires, c'est ce qu'on désigne par le mot grec, non pas de fief, justement, mais le mot grec kleros, c'est la clérouquie dont on avait parlé, je crois, une fois, précédemment. Or, là, vous accordez, l'Empereur accorde le bénéfice d'une terre à un fonctionnaire en tant que fonctionnaire, la terre revenant à la Couronne lorsque le fonctionnaire prend sa retraite ou meurt. Le fief, c'est complètement différent, c'est une propriété privée avec relation de dépendance personnelle du vassal vis-à-vis du seigneur. La propriété privée, là, passe par tous ces types de relation de dépendance personnelle. Alors, je citerais, comme pour me contenter de ça, les relations de dépendance personnelle dans les Empires évolués, les relations de dépendance personnelle dans les cités et villes, et encore, ce serait des cas très, très différents, les relations de dépendance personnelle dans les systèmes de féodalité rurale. Bon, ce serait au niveau de la propriété foncière qui devient à ce moment là une propriété privée. Or, je dis, et c'est là-dessus que je voulais terminer, qu'est-ce qui me permet de dire, c'est une deuxième figure de l’État ? Et j'ai même plus besoin de le dire, parce qu'au besoin, on me dira, mais il n'y a pas État, il n'y a plus État, l’État est... Dans la féodalité, est-ce qu'il y a État ? De toutes manières, ça ne m'intéresse pas, parce qu'il y a toujours un État à l'horizon. Même dans la féodalité, il y a toujours un Empire, soit comme vieil Empire archaïque qui a éclaté, soit comme Empire évolué qui est à côté. Et les relations de dépendance personnelle, elles montent au sein, pour doubler, pour remplacer ces relations impériales. Bon, mais alors, qu'est-ce qu'elles expriment ? Qu'est-ce que c'est, puisque, ce qui m'intéresse, ce sont des relations de dépendance entre les personnes privées, mais qu'elles ont une consistance sociale aussi grande que le reste, que les systèmes impériaux ? Je dirais, bah, c'est pas difficile, si vous m'avez suivi, là, on tient et on va comprendre pourquoi il y a tellement de figures variées à ce niveau. Pas tellement difficile, parce que si vous acceptez l'idée que cette seconde figure de l’État, entre guillemets État, cette seconde figure de l’État, elle surgit en fonction de ce phénomène qu'on a vu précédemment, à savoir le surcodage archaïque provoque lui-même des flux décodés et entraîne des flux à se décoder. Je dirais que les relations de dépendance personnelle sont l'expression de conjonctions locales, topiques, qualifiées, entre flux décodés. Si bien que j'aurais bien mes deux grandes figures d’État puisque, c'est pas les seules, j'aurais le surcodage d’État archaïque, l'Empire archaïque, surcodage des flux dans l'Empire archaïque et la conjonction topique entre flux décodés, il faut en effet tous ces flux qui se décodent, il va falloir qu'ils entrent... Ce qu'exprime la relation de dépendance personnelle, c'est finalement quelque chose de tout à fait impersonnel, à savoir ces conjonctions locales, très... qui forment des topoïs, des lieux, ces conjonctions topiques qui forment des lieux qui sont à la fois des lieux du discours juridique, des lieux de la société, des lieux du champ social, des lieux géographiques, tout ce que vous voulez, qui sont des lieux en tous les sens du mot lieu, donc des conjonctions topiques entre des flux décodés comme tels. D'une certaine manière, ça les empêche de se décoder encore d'avantage, ça les empêche de fuir, ça fait des espèces de nœuds, ça fait des espèces de...

 

Bien, alors, c'est là que je dis, c'est en effet, un deuxième âge du droit. C'est plus du tout le vieux droit archaïque, mais sous les formes les plus diverses, un nouveau type de droit, le droit que certains auteurs appellent précisément le droit atopique, avec topique, le droit qui procède par topique. Naît une sorte de droit topique qui va essentiellement être, à mon avis, une sorte d'expression, d'énoncé juridique de l'ensemble des relations personnelles. Pour que vous compreniez, en pleine féodalité, ou à la fin de la féodalité, exemple sur lequel on a parlé à d'autres égards, sous d'autres points de vue, d'autres années, l'amour courtois, ce que je dis, ça concerne pas seulement... Ça concerne même des choses qui paraissent très minuscules. Comment ça se défini l'amour courtois ? L'amour courtois, c'est très curieux, quel a été l'importance énorme de, d'abord l'amour chevaleresque, et puis l'amour courtois ? Je dirais presque, vous comprenez, le mariage, c'est quoi ? Et bah, le mariage, c'est pas mal en parler que dire, c'est un certain système de surcodage. Finalement, les origines du mariage, il faudrait les chercher dans le mariage du despote, à savoir, le mariage, à mon avis, il est très bien formé dans les Empires archaïques. C'est un surcodage d'un certain type de relation, et de relation publique. Bon, en même temps, c'est pas très difficile de montrer que dans une société, en même temps que se fait tout un surcode du mariage, et ben il y a des flux, flux de sexualité, aussi flux de sentimentalité qui tendent à se décoder. Ils ne préexistaient pas, ces flux. C'est bien le surcodage qui provoque sur d'autres points, qui instaure un circuit, le circuit marital public, avec comme modèle le mariage du despote, le mariage du pharaon, bon, et puis qui va entraîner tout un système de flux qui se décodent. Flux qui se décodent, ce n'est pas avec mon épouse que je pourrais. Elle, elle est contenue, c'est pas qu'elle en soit incapable, c'est qu'elle est prise dans le surcodage. D'où les systèmes qui ont existé dans toutes les sociétés, très, très curieux... L'amour chevaleresque et l'amour courtois, c'est l'amour, aussi bien dans un cas que dans l'autre, dans les deux cas, c'est pas la même chose mais dans les deux cas, c'est l'amour qu'un homme éprouve pour une femme qui non seulement n'est pas la sienne, mais n'a pas le droit d'être la sienne. Donc, d'une certaine manière, vous me direz, c'est codifié. Oui et non, tout dépend ce qu'on appelle un code. Je crois que c'est codifié comme ce qui échappe aux codes. C'est l'état du flux décodé. On peut pas avoir d'amour chevaleresque, ni d'amour courtois avec sa propre femme. Et, en même temps que se développe l'amour chevaleresque et puis surtout l'amour courtois, se développe quoi ? Un nouveau système, ça n'existait pas avant, je crois, ou ça existait mais alors sous d'autres formes, l'amour est défini comme une relation de la dépendance personnelle de l'homme par rapport à la femme. Vous comprenez par définition pourquoi on ne peut pas le faire comme ça, ça irait complètement contre le système du mariage comme surcode, qui lui ne repose que sur le primat de l'homme. Le flux décodé va trouver son expression lorsqu'il va promouvoir un type de relation qui va avoir son droit, je dirais que c'est typiquement un droit topique. Le mariage est un surcode, l'amour courtois est une topique. Oui, ça éclaire tout ça, c'est lumineux. C'est une topique et qui va se définir par, qui va pas être comme ça, une compensation, qui va être l'invention, l'instauration, d'une relation de dépendance personnelle du chevalier vis-à-vis de la dame. Bon, ça va être une conjonction entre flux décodés. Bon, et dans toute l'institution de la chevalerie, ce ne sera pas dire, ce serait vraiment idiot de dire idéologie, c'est pas du tout de l'idéologie, c'est un phénomène fondamental qui est comme le corrélat du statut du mariage à ce moment là où s'instaure une relation, c'est pas qu'il y ait une relation d'indépendance personnelle dans le cas du mariage, c'est pas du tout l'inverse, ça ne joue pas du tout sur le même plan, c'est autre chose. Bon, je dirais, pour résumer, je peux définir un ensemble d'appareils de pouvoir, un second type d'appareils de pouvoir si variés qu'ils soient en essayant de faire une catégorie sociale propre que j’appellerais les relations de dépendance personnelle entre personnes privées. Et je dis, ces relations de dépendance personnelle entre personnes privées se définissent par ceci, c'est qu'elles expriment des conjonctions entre flux décodés comme tels. Par là, elles forment un nouveau droit. Si bien que j'ai au moins deux figures très vagues, le système de surcodage de flux, appareil impérial et puis cette chose, cette zone, beaucoup plus floue, beaucoup plus variée, qui va encore une fois des Empires évolués aux féodalités en passant par les régimes urbains, conjonction topique entre flux décodés. Qu'est-ce qu'il peut se passer après ? Après, je retire après, parce que ce n'est pas une évolution. Tout est déjà là, tout est encore, enfin... Mais c'est par commodité, qu'est-ce qu'il peut se passer après, d'encore plus horrible ou d'encore plus beau ? Bah vous le sentez, c'est là qu'on commencera la prochaine fois. Tout est prêt pour que surgisse le capitalisme. Bon, ça va, très bien. Voilà.

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